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En 1782, la Compagnie des Mines d’Anzin fait construire une imposante bâtisse à l’orée de la forêt de Bon-Secours afin d’y abriter une machine de Newcomen. Le but est de combattre les venues d’eaux souterraines, principal obstacle à l’exploitation du charbon.
A l’état de ruine jusqu’il y a peu, le bâtiment connaît aujourd’hui une nouvelle vie. L’enveloppe extérieure a été rénovée et une pompe à feu y a été réinstallée.
Venez découvrir les secrets d’un système ingénieux qui a ouvert la voie de la Révolution industrielle.
Le carrousel Terhistoire
A proximité de la machine à feu, un parc ludo-pédagogique permet aux visiteurs de découvrir la proto-industrie de la mine.
Grâce à un carrousel interactif et aux reconstitutions grandeur nature d’équipements minier du 18ème siècle, les visiteurs comprennent les premières techniques d’extraction du charbon.
Les origines de la « maison Canivez »
Tout au bout de la rue des Iguanodons (ancienne rue de Chièvres), à Bernissart, à quelques centaines de mètres de la frontière française et de l’orée du bois de Bon-Secours, se dressent, sur le bord droit de la route, les restes d’un important bâtiment, qui porte ce nom curieux de « maison Canivez ».
Les gens du coin l’appellent également la « machine à feu » ou la « maison du garde ». Mais quelles sont ses origines et quelle fut sa destination première ?
On remarque immédiatement que ses formes ne sont pas celles d’une construction d’habitation traditionnelle : sa façade est longue de 7,7 mètres, ses pignons, longs de 8,7 mètres, présentent une épaisseur à la base de plus d’un mètre ; la hauteur de ses murs est de 10 mètres tandis que sa hauteur totale atteint les 14 mètres. Ses murs, édifiés en moellons de grès de la région et en briques, comportent des ouvertures, dont certaines sont murées, que l’on ne retrouve certainement pas dans une construction traditionnelle.
Toutes ces caractéristiques ont mené à penser récemment qu’il pouvait s’agir d’un ancien bâtiment minier du XVIIIème siècle, celui d’une « machine à feu » du type de celle de Bois de Boussu que décrit l’Encyclopédie de Diderot (les habitants de l’endroit emploient parfois cette expression pour désigner le bâtiment, sans nécessairement trop savoir ce à quoi elle correspond).
Le contexte historique
On sait que les barons de la Catoire, seigneurs de Blaton de 1682 à avril 1753, exploitèrent le charbon sur le territoire de ce village (la fameuse veine « Sint Mé », constituée de charbon maigre, uniquement valable pour la cuisson de la chaux et des briques), dans un premier temps, en tant qu’entrepreneurs indépendants et, ensuite, en association avec des chaufourniers de Tournai, les Derasse (1). Quand il devint propriétaire de Blaton et du bois de Bon-Secours (il possédait déjà Bernissart), le duc Emmanuel de Croÿ continua la concession d’exploitation avec ces derniers.
Mais son sens des affaires le poussa, dès 1757, après avoir écarté ses associés temporaires et peu compétents, à provoquer la fusion des différentes sociétés charbonnières du Nord de la France (Raimes, Fresnes, Condé, Vieux-Condé, Anzin) en une seule société, la Compagnie des Mines d’Anzin, de façon à supprimer la concurrence qu’elles exerçaient entre elles et à pouvoir lever des capitaux importants. Ce regroupement permit à la Compagnie d’Anzin d’acheter en nombre, de façon à équiper la plupart de ses fosses, des « machines à feu » (ou « pompes à feu ») directement en Angleterre, là où elles étaient déjà employées pour l’exhaure des eaux depuis 1712 (une première pompe à feu avait été installée à Anzin en 1731).
La machine à feu, mise au point par l’Anglais Thomas Newcomen, en 1705, est le premier véritable moteur qui fait appel à une force autre qu’humaine ou animale : la vapeur d’eau ; elle était utilisée pour l’exhaure des eaux souterraines des mines. Elle consiste en un ensemble chaudière – cylindre – piston – balancier accouplé à un système de pompage, dans le puits, guidé par la maîtresse-tige. La chaudière alimente le cylindre en vapeur à basse pression, de l’ordre du bar, ce qui déplace le piston vers le haut du cylindre. Une injection d’eau froide en partie basse de celui-ci y provoque une dépression. La pression atmosphérique agissant sur le piston, étant supérieure à la pression résiduelle en dessous de celui-ci, provoque son déplacement vers le bas avec basculement du balancier qui entraîne la remontée de la maîtresse-tige et le fonctionnement des pompes. Ce mouvement alternatif se répète sur manœuvre des vannes d’injection de vapeur et d’eau froide et il ne comporte donc qu’un seul temps moteur sur tout son cycle : la descente du piston due à l’action de la pression atmosphérique, d’où le nom donné à la machine de « machine atmosphérique ». Il va sans dire que, vu les frottements importants, le refroidissement du corps du cylindre à chaque cycle, les fuites en tous genres, son rendement de l’époque était des plus faibles : de l’ordre du pour-cent (2) !La machine à feu
Cette innovation technologique fut, cependant, un élément clé de la Révolution industrielle, assurant la victoire des mineurs sur les venues d’eau qui leur bloquaient jusqu’alors l’accès aux gisements profonds.
L’Ecossais James Watt améliora considérablement la machine de Newcomen dans les années 1764 et suivantes : 1769 : chemise de vapeur autour du cylindre pour en limiter le refroidissement et brevet du condenseur séparé avec exploitation en 1775 avec l’industriel Boulton ; 1783 : invention de la machine à double effet : la pression atmosphérique n’intervient plus ; 1788 : régulateur de vitesse à boules et « parallélogramme de Watt ». Ces dernières modifications lui permirent d’en faire une machine d’extraction : le mouvement alternatif fut transformé en mouvement circulaire. Mais, surtout, sa machine permettait d’économiser les 2/3 de la vapeur consommée par celle de Newcomen.
Une carte ancienne, datant de 1776, conservée au Centre Historique Minier de Lewarde (France) (3), « pour servir à la connaissance de l’exploitation de la Veine de Blaton, et du terrain propre à la recherche des mines sur Bernissart et Archi », nous permet de comprendre la chronologie de cette partie de l’histoire charbonnière de notre région. Outre les fosses exploitées par les barons de Blaton et les Derasse, y figurent celles de la compagnie de Vieux-Condé et de la compagnie des mines d’Anzin.
On apprend ainsi, grâce à cette carte et à des rapports d’époque, conservés également aux archives du Centre Historique Minier, que cette compagnie de Vieux-Condé, dirigée par Pierre Desandrouin, avait déjà, mais sans succès à cause des venues d’eau, fait deux tentatives sur le territoire de Bernissart : en 1754, à l’intersection du Grand Chemin de Condé à Blaton et du Chemin d’Harchies à Condé, près de l’endroit où fut érigé plus tard le moulin à vent du XIXème siècle, là où se trouve maintenant l’établissement « La Ferme » ; en 1757, ensuite, au lieudit « Haie Kéverlèches », près de la frontière. Le vicomte Desandrouin, dont la famille était originaire de Lodelinsart où elle exploitait des mines de houille et des verreries, avait, en bon Carolo, une bonne connaissance du sous-sol et de la géologie : il ne s’intéressait pas à la veine « Sint Mé » du baron de la Catoire à cause de la valeur moyenne de son charbon maigre mais bien au charbon des couches supérieures du Westphalien inférieur, qu’il exploitait déjà en France.
Les rapports d’époque, , notamment de P.J. Castiau vers 1781 et de Guillaume Corbisier a posteriori vers 1811-1814, tous deux directeurs des mines d’Anzin, nous apprennent qu’après l’épuisement du gisement du Bois de l’Houmeau, la Compagnie fit procéder au fonçage de six puits de recherche vers le sud, selon une droite joignant le puits de l’Houmeau à celui du Kéverlèches, le dernier sondage se trouvant à proximité de l’endroit où la machine a été érigée. Cette façon de procéder correspond bien à l’idée de trouver le prolongement des veines du Westphalien exploitées tant dans le Borinage et le Centre que dans la région de Condé.
Le chantier
En fonction du résultat des sondages, la Régie (4) de la Compagnie des Mines d’Anzin prit la décision, lors de sa réunion du 22 janvier 1781 (5), de procéder au fonçage de la fosse (6). Il ressort du texte du procès-verbal de cette réunion que l’enthousiasme n’était pas délirant pour la mise en œuvre de cette avaleresse : « convenu qu’avec la machine de l’hommeau, on en établira une au bord de la plaine de Bernissart à la fosse qui est sur le bord de la haye de Macou pour voir tout ce qu’il y a à espérer de ce côté-là, pour l’abandonner après procès-verbal s’il n’y a rien ». En fait, cette ultime tentative ne devait servir, en cas d’échec, que d’alibi à l’abandon pur et simple de toute exploitation sur le territoire du Hainaut autrichien, avec une concentration des moyens sur l’exploitation du gisement français ainsi qu’à décourager d’éventuels futurs candidats exploitants : qui arriverait à un résultat satisfaisant là où la puissante Compagnie d’Anzin avait échoué malgré l’emploi d’une pompe à feu ?.
Le 20 août de la même année, Corbisier commanda l’ouverture du puits. Les premiers niveaux d’eau furent passés à l’aide de pompes à bras de 20 cm de diamètre. L’installation d’une machine à pompe fut insuffisante pour venir à bout des venues d’eau et, comme prévu par la Compagnie, la petite machine à feu de l’Houmeau, devenue inutile à la suite de l’arrêt des travaux, fut démontée, transportée et remontée à Bernissart dans le courant du mois d’août 1782, dans le bâtiment qui avait été construit à cet effet en bord de puits.
Les caractéristiques de la machine étaient les suivantes :
- diamètre du cylindre : 116 cm,
- diamètre de la chaudière : 4,35 m aux plats-bords,
- nombre d’impulsions : 8 à la minute,
- course du piston : 130 cm.
Sa puissance devait se situer aux environs de 10 chevaux-vapeur, soit 7 kW, donc celle d’une petite moto ( !).
Elle entraînait une pompe d’un diamètre de 29 cm, qui se révéla insuffisante ; son remplacement par une autre d’un diamètre de 43,5 cm et l’ajoute d’une autre en parallèle d’un diamètre de 23 cm n’apportèrent pas de solution suffisante : Corbisier attribuait les mauvaises performances de la machine à son sous-dimensionnement, à la mauvaise construction de la chaudière et à la mauvaise qualité du « sale charbon » d’Anzin que la Compagnie lui fournissait pour la faire fonctionner. Malgré ces difficultés, l’enfoncement se poursuivit jusqu’à 36 mètres.
A sa demande de disposer d’une machine plus forte, de réserve à Vieux-Condé, l’ingénieur se vit recevoir l’ordre d’arrêter les travaux, alors que, d’après lui, avec du matériel performant, il était certain de trouver, en moins de trois mois, ces fameuses veines de charbon, liaisons entre celles du Borinage et du Centre et celles de la région de Condé !
Par acquit de conscience et pour bien se prouver qu’il avait raison, Corbisier fit reconnaître le terrain encore à creuser et, à environ six mètres sous le niveau inférieur du puits, donc à environ 42 mètres du niveau du sol, le sondage atteignit le terrain houiller, sans que les arrivées d’eau n’augmentent. Il avait donc raison mais il dut se plier aux injonctions de son conseil d’administration : le puits fut remblayé et la machine à feu fut démontée et renvoyée en France. Ses notes, rédigées vers 1813, font bien apparaître sa déception et son étonnement devant le peu d’insistance qu’avait montré Desandrouin concernant ce chantier, lui qui était pourtant fin connaisseur de l’art de la mine et de la configuration des sols. L’avenir devait confirmer la conviction de l’ingénieur : à 300 mètres à vol d’oiseau de là, fut enfoncée avec succès la première fosse moderne, la fosse « Négresse », moins de 30 ans plus tard , en 1839 !
Et ensuite …
Le duc de Croÿ, propriétaire, fit aménager le bâtiment en faisant murer certaines baies et ouvrir d’autres pour le transformer en habitation qu’il confia à son garde-chasse.
La famille Canivez (7), originaire de la région de Valenciennes, s’installa à Péruwelz dès 1767 : Claude Joseph Canivez y épousa, en premières noces, Louise Brigitte Tonneau et, en secondes noces, Augustine Marie Giffroid. Un de ses petits-fils, Jean-Baptiste, né à Péruwelz le 22 septembre 1802, qui était garde particulier au château d’Arondeau à Roucourt, vint probablement s’installer à Bernissart puisqu’il y décéda le 22 décembre 1853. Son arrivée dans le village a dû coïncider avec l’ouverture de la première fosse, la Négresse. Deux de ses fils, Jean-Baptiste Louis, né également à Péruwelz en 1829, et Frédéric, né dans la même commune en 1842, furent aussi gardes forestiers. Le second fut également charbonnier.
On sait que Marie-Louise Dubuisson, toujours vivante et habitant Bernissart, fut la dernière à occuper la maison du garde ; elle est la petite fille d’Adrien Joseph Dubuisson et de Marie Julie Canivez, fille de Jean-Baptiste Louis, cité ci-dessus. La maison fut donc occupée jusqu’après la seconde guerre mondiale. La bâtisse, abandonnée, fut la victime des intempéries et du vandalisme et ne subsiste plus maintenant qu’à l’état de ruines.
Depuis l’an 2000, la maison Canivez est revenue au premier plan de l’actualité locale. En effet, dans le cadre de l’opération de développement rural, mise sur pied en collaboration avec la Fondation Rurale de Wallonie, dont Nathalie Squerens et Eric Evrard sont les agents de développement, son histoire fut ré-étudiée et sa place dans l’histoire locale fut re-située, notamment en ce qui concerne l’exploitation du charbon. Ce texte en est l’illustration. Elle fait maintenant partie intégrante d’un circuit d’interprétation, « sur les traces du Diamant Noir », qui permet à celui qui le parcourt de découvrir l’histoire et les vestiges archéologiques de l’épopée de l’exploitation houillère pré-industrielle (8).
Un espoir, en fin d’année 2005 : la Commune de Bernissart est devenue propriétaire du site, après bien des vicissitudes. Une équipe de bénévoles étudie actuellement la meilleure façon de redonner vie à ses pierres et un accord est intervenu pour faire réaliser une étude du bâti par un architecte archéologue spécialisé dans la construction au XVIIIème siècle.
En conclusion, on peut dire que c’est à cause de l’échec de sa mise en œuvre que le bâtiment de la machine est toujours debout car il est certain que, si la recherche du charbon avait débouché sur une exploitation rentable, la bâtisse initiale aurait certainement été balayée du paysage pour être remplacée par une installation moderne avec bâtiment d’extraction, châssis à molettes et installations annexes, comme ce fut le cas pour toutes les autres fosses. La maison Canivez est donc le dernier bâtiment minier de pompe à feu en Europe continentale, seul à témoigner de l’activité charbonnière de la période pré-industrielle (9).
Annotations :
(1) Voir « L’exploitation du charbon dans le Blaton de la première moitié du XVIIIème siècle » par l’auteur dans Mercuriale n° 11 de mai 2003.
(2) Autrement dit : à chaque tonne de charbon brûlée, seuls dix kilos servaient effectivement à remonter l’eau.
(3) C.H.M. Lewarde valise 4712 V 281
(4) On dirait maintenant le Conseil d’Administration.
(5) Participaient à cette réunion : le duc de Croÿ, le marquis de Cernay, le vicomte Desandrouin, le chevalier du Buat, Ed. de Wackier, M. Taffin d’Hordain, M. Moreau fils et M. Matthieu. Ce dernier était un membre de la famille de spécialistes des mines et des verreries qu’avait entraînés avec lui Desandrouin.
(6) Centre des Archives du Monde du Travail, à Roubaix ; réf. 49 AQ 1.
(7) Ces données généalogiques m’ont été gentiment communiquées par Monsieur Lucien Canivez, habitant de Tertre, et descendant direct de Frédéric Canivez, garde-chasse et mineur.
(8) Une fiche randonnée est disponible sur le site de la Maison du Tourisme du Tournaisis (www.tournaisis.be). Des promenades commentées sont également mises sur pied (renseignements : Office du Tourisme de l’Entité de Bernissart – www.bernissart.be)
(9) Il subsiste des ruines de bâtiments miniers comme la Machine à Feu au Royaume Uni, notamment dans les Cornouailles, où ils furent utilisés pour l’exhaure dans les mines métalliques et de charbon.
Article réalisé par Bernard Delguste (juin 2006)